Les Illuminaten contre l'obscurantisme

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Les Illuminaten contre l'obscurantisme

Par Pierre-Yves Beaurepaire





Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des Allemands, adeptes des Lumières, noyautent les loges maçonniques pour combattre l'influence des jésuites.

Dans le film Lara Croft : Tomb Raider, Angelina Jolie cherche à déjouer les plans machiavéliques d'une société secrète, les Illuminati, deux siècles après que John Robison a fait paraître ses Preuves d'une conspiration contre toutes les religions et les gouvernements d'Europe fomentée dans les assemblées secrètes des francs-maçons et des illuminés (1797). Mais par-delà le mythe et les fantasmes, les Illuminaten ont une histoire.

Elève des jésuites, Johann Adam Weishaupt (1748-1830) étudie l'histoire, le droit, la philosophie et les sciences politiques à l'université d'Ingolstadt, avant d'y enseigner à son tour à partir de 1772. C'est dans cette ville bavaroise qu'il fonde en 1776 l'ordre des Illuminaten. Weishaupt agit dans l'urgence pour contrer le projet d'une société secrète ultraconservatrice, les Rose-Croix d'or, d'implanter un « cercle » dans la cité bavaroise. D'emblée, l'histoire des Illuminaten s'inscrit dans la lutte des Lumières radicales contre les anti-Lumières, dans le combat des forces du progrès et de l'éducation contre les forces de l'obscurantisme et du fanatisme. Insistons sur l'omniprésence des jésuites en Bavière et dans les territoires catholiques de l'espace germanique. Ils dominent les structures éducatives, et la plupart des Aufklärer (littéralement les « éclaireurs ») allemands catholiques ont été formés par les jésuites. Or, depuis le milieu du XVIIIe siècle, la Compagnie est attaquée de toutes parts. Ce reflux n'empêche pas les partisans des Lumières radicales de dénoncer le complot jésuitique et la subversion des loges maçonniques par les Rose-Croix d'or.

Pour Weishaupt, il ne faut pas relâcher la lutte après les revers essuyés par les jésuites. Au contraire, le danger est plus sérieux que jamais, car l'organisation dissimule désormais ses entreprises criminelles. Weishaupt propose de contrer la menace sur son propre terrain en empêchant les anti-Lumières d'investir les instances de formation des cadres d'Ancien Régime (collèges, universités), et les organes d'Etat (justice, police, finances et censure). Il faut recruter les futurs serviteurs de l'Etat pendant leurs études. L'implantation de l'ordre dans les villes universitaires est donc prioritaire. A cette étape du projet, Weishaupt n'a pas encore saisi les possibilités offertes par la franc-maçonnerie, ses milliers de membres - 18 500 en Allemagne en 1780 -, ses centaines de loges, et ses multiples réseaux. Il pense en termes de prosélytisme, non d'entrisme et de noyautage, entreprises qu'on associe pourtant à l'ordre des Illuminaten. Son action comporte clairement des faiblesses et présente des contradictions : s'il est conscient qu'une course de vitesse est engagée avec les anti-Lumières, il choisit toutefois de se lancer dans une épreuve de fond, en proposant de recruter des étudiants qui ne parviendront au sommet de l'appareil d'Etat que dans plusieurs décennies. Significativement, Weishaupt ne réunit autour de lui qu'une poignée d'anciens élèves. L'ordre peine à décoller.

Celui qui va donner aux Illuminaten une impulsion décisive, quitte à contrarier le fondateur, et à rompre finalement avec lui en 1784, ne les a pas encore rejoints. Il s'agit du baron Adolf von Knigge qui adhère à l'ordre en 1780, sous le nom de Philo. Il modifie profondément le projet de Weishaupt. Les loges qui recrutent au sein des élites deviennent les viviers indispensables à la réussite de l'opération. Knigge recrute prioritairement des francs-maçons qui sont déjà solidement établis dans l'appareil d'Etat. Il mise sur des hommes arrivés et non pas sur des étudiants en devenir. A l'excellence académique succède la réussite sociale comme critère de sélection. En quelques mois, il recrute en Bavière et en Allemagne occidentale plusieurs centaines de membres.

Knigge ne professe pas l'anticléricalisme radical d'un Weishaupt qui heurte nombre de francs-maçons et empêche leur ralliement. Il comprend que la loge maçonnique peut fort bien servir de couverture à d'autres activités animées de l'intérieur par un groupe de francs-maçons qui tiennent secrète leur appartenance à l'ordre, et pilotées de l'extérieur par la direction clandestine des Illuminaten. Il privilégie le noyautage de loges existantes, afin de recruter tous azimuts.

La croissance des effectifs de l'ordre et l'élargissement de son implantation géographique sont spectaculaires, avec plus de 1 500 membres identifiés. La réussite des Illuminaten est sans égale, d'autant qu'il s'agit d'une société secrète. On comprend pourquoi son succès a inquiété les autorités bavaroises puis la plupart des autres Etats allemands.

Les premières attaques datent de 1782, lorsqu'une Grande Loge berlinoise dénonce publiquement l'infiltration des Illuminaten dans les loges maçonniques. Mais le coup décisif est porté en Bavière, fief historique de l'ordre. L'affaire a été soigneusement mise en scène. Elle s'apparente au dévoilement d'un complot contre l'Etat aux multiples ramifications, sur la base de quoi, le 2 mars 1785, le duc de Bavière régnant, Charles Théodore, interdit l'ordre et ordonne de poursuivre ses membres. La surprise est totale : l'ambassadeur britannique à Munich, Thomas Walpole, comte d'Oxford, avait par exemple été reçu dans l'ordre à peine un mois plus tôt. La poursuite tourne parfois à la persécution : les listes des Illuminaten sont divulguées, Weishaupt doit fuir et l'ordre se mettre en sommeil.

Se pose alors la question de son devenir en tant que société secrète et au-delà la pérennité de son projet radical. En effet, le noyautage des loges maçonniques, le prosélytisme en direction des élites et l'engagement militant en faveur des Lumières induisaient une certaine clandestinité, mais en aucune manière une culture de la subversion.

La condamnation du projet des Illuminaten comme entreprise conspiratrice modifie radicalement l'engagement de ses membres. S'ils choisissent de poursuivre, ils se mettent hors la loi. Le retrait d'un grand nombre d'entre eux est immédiat. La condamnation, en forme de dédouanement personnel, est fréquente. Goethe déclare ainsi en 1786, trois ans après avoir été reçu dans l'ordre : « Que toutes les associations secrètes soient éradiquées ; qu'importe ce qui en résultera ! »

Mais l'effondrement brutal des Illuminaten ne doit pas masquer l'essentiel. Toute une génération des élites a été séduite par le projet d'une réforme volontariste et radicale de l'Etat et de la société. Les plus audacieux - les moins nombreux - se retrouvent au sein des sociétés de lecture et des clubs patriotiques qui s'enthousiasment pour la Révolution française en 1789-1790, sur le Rhin, mais aussi en Hongrie, en Pologne et jusque dans les provinces baltes de l'Empire russe. L'ordre des Illuminaten a bien été pour eux une « pépinière », selon l'expression de Knigge, permettant à l'ex-jésuite Augustin de Barruel de stigmatiser dans ses Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme la collusion entre philosophes, francs-maçons, « illuminés » et jacobins, thèse du complot qui sera ensuite reprise avec succès jusqu'à l'effondrement de l'Empire soviétique.

Pierre-Yves Beaurepaire enseigne à l'université de Nice Sophia-Antipolis. Il est l'auteur du Mythe de l'Europe française. Diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières (Autrement, 2007), L'Espace des francs-maçons. Une sociabilité européenne au XVIIIe siècle (Presses universitaires de Rennes, 2004), L'Europe des Lumières (PUF, 2004) et L'Europe des francs-maçons XVIIIe-XXe siècles (Belin, 2002).

La symbolique

L'ordre des Illuminaten de Bavière était structuré en 3 classes (pépinière, franc-maçonnerie et mystères) et 13 grades, symbolisés par les 13 marches de la pyramide lumineuse portant un oeil au sommet. La pyramide représentant Dieu et l'oeil, en son centre, Lucifer ne sont pas uniquement des symboles des Illuminaten : on retrouve la même pyramide chez les francs-maçons. Parmi les préceptes édictés par son fondateur Weishaupt : "La grande force de notre ordre réside dans sa dissimulation ; qu'il n'apparaisse jamais sous son nom propre, mais toujours sous le couvert d'un autre nom, d'une autre activité..."

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt


Publié dans VIDEO ILLUMINATI

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