De la Tunisie, de l’Algérie et du Niger…

Publié le par Adriana EVANGELIZT

 

 

 

De la Tunisie, de l’Algérie et du Niger…

 

 

par Tariq Ramadan 

 

 

 

Il fallait bien un dictateur pour affirmer que les émeutes de la rue tunisienne sont des ingérences « de l’étranger » et des actes « impardonnables » assimilables au « terrorisme ». Le bon pouvoir tunisien, démocratique et non corrompu, sait de quoi il parle. Les alliés occidentaux manifestent quelques inquiétudes mais pas, ou peu, de condamnations. La police et l’armée tirent sur les civils à balles réelles, les morts se comptent déjà par dizaines, mais ce n’est point encore suffisant pour alarmer les cabinets occidentaux. L’allié tunisien a des privilèges particuliers, au sein la communauté internationale, pour traiter comme il se doit son opposition ou toute tentative de résister à sa dictature et à son oppression.

 

La Tunisie n’est pas une démocratie : c’est une dictature qui pratique l’assassinat politique, la torture et dont le gouvernement vit de la corruption la plus répandue. Il faut soutenir la population en général et les jeunes en particulier qui descendent dans la rue et qui demandent à ce que leur liberté et leurs droits soient protégés et respectés. Il est l’heure, il est temps, de mettre un terme à cette mascarade de démocratie et de progrès soi-disant « modernistes » destinée à tromper les touristes ou les « mal-informés ». Il est l’heure, il est temps, de dire au peuple qui se réveille que nous sommes de son côté, que nous ne sommes point dupes et que les Tunisiens ont raison de se révolter. Quant à tous ceux qui font silence ou qui veulent préserver leurs intérêts politiques, économiques ou touristiques… il leur restera la honte. Que ces émeutes finissent par le succès ou l’échec, il restera le principe et la cause : résister à un dictateur et dénoncer ses alliés (dictateurs, démocrates ou/et hypocrites)

 

En Algérie, les choses semblent se calmer et pourtant les revendications demeurent légitimes. Ou passe donc la manne pétrolière ? Qui sont ces corrompus qui se remplissent les poches de commerces, de gains frauduleux ou de commissions illicites alors que le peuple d’Algérie s’appauvrit, que le chômage augmente et que le système entier s’affaisse sur une population qui étouffe. Un système fermé, une corruption généralisée, des mensonges et des manipulations : l’Algérie va mal alors que son président est malade. La rue s’est exprimée et s’exprimera encore. Ces prochains jours ou ces prochaines semaines : il faudra bien l’entendre. Il sera l’heure, il sera temps.

 

Depuis le Niger nous parviennent les nouvelles de l’horreur. Deux jeunes français enlevés puis froidement assassinés. La condamnation de ces actes odieux est claire, tranchante, définitive. Cela ne peut être, ne doit pas être et il faut combattre ces groupes extrémistes, manipulés ou manipulateurs (de la religion, de ses principes ou d’autres références ou causes...). Comme nous l’avions fait au Colloque International de Musulmans de l’Espace Francophone (CIMEF) en juillet 2010, il faut répéter que rien ne peut justifier l’assassinat d’innocents (et des actes de cette nature) au nom de l’islam ou d’un quelconque engagement politique.

 

Au moment où nous prononçons cette condamnation de façon ferme et audible, nous désirons exprimer des réserves tout aussi claires sur la stratégie des gouvernements africains et français quant au traitement de la menace de ces groupuscules et réseaux extrémistes violents. Trois militaires africains rencontrés cet été nous ont fait part de leur cas de conscience, de leurs inquiétudes et de leurs angoisses résultants des ordres qu’ils reçoivent et de la façon dont on leur demande d’opérer dans le Sahel face à ces réseaux, où se mêlent des extrémistes, des bandits et des pilleurs. On leur ordonne de ne faire aucun prisonnier, de liquider tous les membres des groupes une fois qu’ils sont localisés, armés ou pas, en état de combat ou non. Un des militaires a une fois appelé son commandement en l’informant qu’ils avaient localisé un groupuscule et que ce dernier était restreint, pas en état de combat, et qu’il y avait deux femmes parmi eux. La réponse ne s’est pas fait attendre « Liquidez les tous ! On ne veut pas de prisonniers ». Pourquoi donc ? Comment expliquer ces tueries ? Un autre militaire nous a assuré avoir trouvé le cadavre d’un individu qu’il avait fait arrêter dans une précédente expédition et à qui on avait dû rendre la liberté pour qu’il se retrouvât parmi les morts quelques semaines plus tard. Etrange stratégie, impitoyable, mais surtout incompréhensible. L’armée française est au courant de ces façons de faire et, dans une telle atmosphère de folie et de non-sens, poursuivre des ravisseurs signifiait nécessairement la mort de leurs deux captifs. Comment en douter ?

 

On ne saurait s’arrêter sur cette seule affaire et formuler des condamnations mais c’est bien l’ensemble de la stratégie africano-française au Sahel qu’il faut questionner. Le régime de terreur, le mélange des genres (lutte contre le terrorisme, le banditisme ou la corruption), les exécutions sommaires, le non respect de la vie des hommes et des prisonniers, et les manœuvres expéditives ne peuvent offrir la sécurité ni aux Africains (Maliens, Nigériens, etc.) ni aux ressortissants français. La France se trompe encore en Afrique. Encore. Elle vient de tenter de sauver deux otages « à l’Africaine »…parce que beaucoup d’Etats africains se trompent aussi en Afrique même. Il serait temps, dans la lutte contre les extrémistes violents, d’avoir une stratégie, de respecter certains principes de dignité et de droit et de ne pas croire que ce qui se passe au Sahel, loin des caméras, est protégé par la justification du silence médiatique. Un jour des innocents paient, personnellement et médiatiquement, ces erreurs. Il faut que cela cesse, il est l’heure, il est temps.

 

Notre sympathie va aux familles de toutes les victimes en Tunisie, en Algérie et en France… du côté des opprimés, des victimes et des innocents. Toujours.

 

SourcesTariq Ramadan

 

Posté par Adriana Evangelizt

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article