"Le sabre et le goupillon", version Tsahal

Publié le par Adriana EVANGELIZT

 

 

 

"Le sabre et le goupillon", version Tsahal

 

 

DOSSIER : L’armée israélienne et les religieux

 

par Catherine Dupeyron

 

Si les médias israéliens comme étrangers mettent souvent l’accent sur les ultra-orthodoxes qui ne font pas l’armée, il s’avère par ailleurs que Tsahal intègre de plus en plus de soldats religieux issus du mouvement sioniste religieux. Une évolution sociologique qui pose la question du rapport entre soldats et rabbins, entre armée et religion. Cet article fait partie d’un dossier consacré à l’Armée et les religieux qui a d’abord été publié dans le magazine mensuel Regards du Centre communautaire laïc de Bruxelles.

 

Le chef d’Etat-major adjoint est depuis novembre dernier un Juif religieux. Une première dans l’histoire de Tsahal. Pour certains, la nomination de Yair Naveh à ce poste est une source de fierté, pour d’autres une raison de s’inquiéter, et pour les derniers, une évolution naturelle liée à celle de la société. Cette dernière position est notamment celle de Benny Ganz, le nouveau chef d’Etat-major nommé en février. « L’intégration des religieux dans l’armée reflète l’évolution de la société dans son ensemble. Il reste que les officiers sont nommés en fonction de leur mérite et non de leurs croyances », soulignait Ganz en septembre dernier (1), alors que ce général, laïc par ailleurs, ignorait qu’il allait devenir chef d’Etat-major de Tsahal.

 

Concrètement, quel est le nombre de religieux au sein de l’armée ? Selon une étude parue en 2009 dans le journal militaire Ma’arahot, 31,4 % des officiers de l’infanterie étaient des religieux en 2007 contre 2,5 % en 1990, une hausse vertigineuse donc en moins de vingt ans (2). « Il y a beaucoup de religieux parmi les Golani (3), parce que les yeshivot hesder (4) préparent plus particulièrement à cela », observe Yehouda Ben Meir, ancien député du Parti national religieux. Cependant, si les officiers religieux sont très présents dans l’infanterie, ils le sont peu dans l’artillerie, l’aviation ou la marine. Les kibboutznikim restent surreprésentés dans nombre d’unités, notamment parmi les pilotes. « En fait, peu de religieux décident de faire une carrière militaire », souligne Eyal Ben Ari, anthropologue à l’Université hébraïque de Jérusalem.

 

L’armée est donc moins homogène sociologiquement qu’elle ne l’était pendant les 25 premières années de son existence. Le rabbin Moshe Hagar-Lau, colonel de réserve, responsable du collège militaire préparatoire Yatir, se souvient : « Dans le temps, il n’était pas simple d’être religieux dans l’armée, car on était différent. L’esprit de camaraderie si important à l’armée n’était pas toujours compatible avec cette différence ». Depuis, les choses ont bien changé. Ainsi, dans les bureaux des bases militaires, il y a de plus en plus de mezouzot (5) fixées aux portes, et les images de grands Sages juifs sont désormais accrochées aux murs à côté de la photo officielle du Président de l’Etat.

 

Une mixité de plus en plus délicate

 


Autre réalité, les problèmes liés à la mixité de l’armée. Des difficultés qui vont en s’aggravant. Il arrive que dans les assemblées festives, des hommes sortent d’une salle lorsqu’une soldate se met à chanter. Par ailleurs, des soldats issus du courant nationaliste religieux préfèrent rejoindre les rangs des unités haredim (ultra-orthodoxes) où il n’y a pas de femmes, ces dernières étant considérées par certains religieux fondamentalistes comme le diable. « Cela fait partie de la tendance à l’orthodoxisation du courant nationaliste religieux », précise Eyal Ben Ari. De leur côté, nombre de jeunes femmes religieuses choisissent de faire le service national civil pour ne pas être confrontées à la mixité de l’armée.

 

L’intégration des religieux pose donc à l’armée un vrai défi en termes de gestion de ressources humaines. Mais au-delà, la présence croissante des religieux dans l’armée ne pose-t-elle pas un problème politique majeur ? A gauche, certains alertent sur le risque d’une double allégeance de ces soldats religieux à leurs officiers et à leurs rabbins. Tsahal, longtemps dominée par des hommes issus des kibboutz, ne risque-t-elle pas d’être bientôt contrôlée par les religieux, lesquels seraient sous l’emprise de certains rabbins qui refusent de restituer les Territoires ? En d’autres termes, le sabre ne serait-il pas bientôt au service du goupillon ?

 

Pour Stuart Cohen, professeur au Centre d’études stratégiques Begin-Sadate, « la question de la double autorité, celle de l’officier et celle du rabbin, est un faux problème. Lors du retrait de la bande de Gaza, très peu de soldats ont refusé d’exécuter les ordres qu’on leur avait donnés. Et je pense qu’il y aurait très peu de cas de désobéissance s’il y avait un retrait de Cisjordanie ». Même son de cloche chez Yehouda Ben Meir, ancien député et chercheur à l’Institute for National Security Studies, pour qui « le risque de désobéissance des religieux est largement exagéré ». A cet égard, l’exemple de Yair Naveh, le nouveau chef d’Etat-major adjoint portant kippa, est édifiant. Durant l’été 2005, il est à la tête du retrait des quatre colonies de Cisjordanie ; épisode qui lui vaut d’être devenu une référence pour nombre d’officiers et d’avoir été vertement critiqué par le mouvement colon et les nationalistes religieux.

 

Le refus « gris » de servir

 


Pour Amos Harel, correspondant militaire du Haaretz, les difficultés à mettre en œuvre le retrait en Cisjordanie seraient plus le fait des soldats que celui des officiers, comme lors du retrait de la bande de Gaza. Il évoque le refus « gris », un refus de servir officieux qui s’est alors mis en place. Concrètement, les officiers ont préalablement « négocié » une abstention des soldats réfractaires, un moyen efficace d’éviter les refus ostentatoires pendant le retrait.

 

Cependant, Ben Meir rappelle qu’il existe deux refus de servir : celui des religieux qui refusent d’évacuer les colonies, et celui des gauchistes qui refusent d’opérer dans les Territoires. Ainsi, les tensions existant dans la société traversent aussi Tsahal, situation logique dans une armée de conscription. A cet égard, Yossi Argaman, retraité de l’armée et spécialiste de l’histoire militaire en Israël, souligne : « Historiquement, le refus politique le plus spectaculaire fut celui d’un colonel, qui en 1982 refusa d’entrer dans Beyrouth. A ma connaissance, jamais un religieux ayant grade de colonel n’a refusé des ordres donnés par sa hiérarchie ».

 

Ben Meir, qui se définit avec fierté comme un sioniste religieux, est moins rassurant que certains de ses collègues universitaires laïcs. « Il y a dans le monde religieux des éléments fanatiques, et certains servent dans l’armée. Je ne pense pas, comme la gauche, qu’ils représentent un grand danger, mais l’illusion messianique doit être prise au sérieux. Il est important de les identifier, car ils peuvent constituer un sérieux danger pour la démocratie. C’est l’un d’eux qui a assassiné le Premier ministre en 1995 ».

 

(1)Propos tenus lors d’une conférence organisée par le Centre BESA en septembre 2010 à l’université Bar Ilan.


(2) Voir Haaretz, 15/9/2010 (http://www.haaretz.com/print-editio...)
(3) Brigade d’élite de l’infanterie


(4) Collège militaire religieux


(5) Objet de culte juif constitué d’un rouleau de parchemin comportant deux passages bibliques, emboîté dans un réceptacle, et fixé au linteau des portes d’un lieu d’habitation permanente

 

Sur ce dossier, voir aussi : « L’armée est un lieu où se façonnent des politiques identitaires »

 

Sources Jérusalem et Religions

 

 

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Israël : "Armée du peuple" ou des religieux ?

 

 

par Laurent Zecchini

 

 

C'est une révolution culturelle, une mutation insidieuse que rien ne semble pouvoir arrêter. L'armée israélienne, matrice de la création de l'Etat juif, melting-pot, disait-on, de toutes les diasporas du monde, est-elle encore l'"armée du peuple" ou celle des religieux ?

 

La question est stratégique : si une forte proportion des commandants d'unités et des soldats de Tsahal portent kippa, ils ne manifesteront pas beaucoup d'empressement le jour où il faudra évacuer les colons religieux établis sur le territoire du futur Etat palestinien. Parce que leur loyauté sera écartelée entre deux devoirs : la discipline militaire et les interdits du rabbinat militaire.

 

Pure hypothèse sans doute, puisque le gouvernement israélien n'a aucune intention de réitérer, en Cisjordanie, les opérations d'évacuation (août 2005) des quelque 8 000 colons juifs de la bande de Gaza. Il n'empêche : la question de la colonisation est au coeur des velléités de la communauté internationale pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

 

Le phénomène est avéré : 35 à 40 % des conscrits et officiers d'infanterie sont religieux, de même que 30 % des effectifs des unités de combat. Tels sont les chiffres du professeur Yagil Levy, spécialiste réputé de l'interaction entre l'armée et la société israélienne, qui enseigne à l'Université ouverte d'Israël. "C'est une évolution qui ne cesse de se renforcer, nous explique-t-il. La plupart des commandants de la brigade Golani (prestigieuse brigade d'infanterie) sont des religieux. Quant à revenir en arrière, il est trop tard."

 

Le professeur Levy n'a rien d'une Cassandre, mais il estime sage de tirer la sonnette d'alarme. Il n'est pas le seul : en juin, le général Avi Zamir, directeur du personnel de l'armée, a quitté ses fonctions en envoyant un brûlot au chef d'état-major, le général Benny Gantz. Sous forme d'un appel à enrayer la radicalisation religieuse galopante au sein des forces armées, qui menace, écrivait-il, de détruire le modèle de l'"armée du peuple".

 

Son rapport avait été précédé d'une étude du Dr Neri Horowitz. A force d'appliquer strictement le concept d'"intégration appropriée" (un code de conduite pour éviter la promiscuité entre religieux et femmes-soldats), ces dernières sont reléguées dans des postes subalternes, soulignait ce sociologue, qui évoquait une "extrême coercition religieuse".

 

En apparence, l'institution militaire est une machine bien huilée. Sauf quand des prurits médiatisés révèlent qu'elle est traversée de forces antagonistes. Début septembre, quatre élèves-officiers ont été renvoyés de leur école pour avoir refusé d'écouter une chorale partiellement féminine. Tous étaient des "nationaux-religieux", comme 41 % de leurs condisciples.

 

Une âpre bataille entre laïques et religieux s'est déroulée en juin à propos de la prière prononcée lors des cérémonies funèbres. Des rabbins militaires avaient peu à peu remplacé la phrase "Puisse le peuple d'Israël se souvenir...", par "Puisse Dieu se souvenir...". Il a fallu l'autorité du chef d'état-major pour rendre au "peuple d'Israël", au moins provisoirement, sa prééminence.

 

Tsahal n'est pas au bord de la révolte, mais les images des rebelles du bataillon Shimshon, qui, en 2009, avaient manifesté devant le mur des Lamentations pour indiquer leur refus d'évacuer une colonie illégale, sont restées dans les mémoires. Comment en est-on arrivé là ? Le professeur Levy explique qu'à la suite de différents conflits, l'armée a subi le contrecoup d'une perte de motivation au sein de la société : les jeunes étaient de plus en plus réticents à la perspective d'aller passer trois ans (deux ans pour les filles) sous les drapeaux.

 

La conscription reste de règle en Israël, mais elle s'accompagne d'une multitude de moyens pour y échapper, en particulier pour les religieux. Aujourd'hui, 25 % des jeunes (juifs) en âge de service militaire se débrouillent pour s'y soustraire, cette proportion atteignant 50 % pour les filles. Une sorte de compromis historique a été conclu entre l'armée et les nationaux-religieux. La première avait besoin d'un nouveau "réservoir" de soldats, les seconds ont compris que leur méfiance vis-à-vis de l'institution militaire n'était plus de mise, sous peine d'être davantage marginalisés, et qu'ils pouvaient gagner des positions de pouvoir au sein de l'armée. Ils ont recouru à la vieille stratégie de l'entrisme, les rabbins augmentant leur influence en essaimant dans les unités, jusqu'à former, sur bien des sujets, une hiérarchie parallèle.

 

Tsahal est aujourd'hui un bouillon de cultures. Nationaux-religieux opposés aux ultraorthodoxes, laïques confrontés à l'irrésistible progression des religieux, femmes soumises à la volonté de ségrégation des rabbins, lesquels imposent un code de "modestie" contraignant.

 

A bien des égards, le glissement religieux de l'armée rejoint celui de la société israélienne dans son ensemble, de plus en plus dominée par la droite religieuse. Certains se rassurent en rappelant qu'il n'y a rien de commun entre Tel-Aviv l'hédoniste et la religiosité militante de Jérusalem.

 

Sauf que les politiques n'hésitent pas à jouer avec le feu : "Benyamin Nétanyahou, souligne Mikhaïl Manekin, de l'ONG Breaking the Silence (Briser le silence), est passé maître dans l'art de dire à la communauté internationale : "Vous pouvez comprendre que, vu les partis qui me soutiennent et l'évolution de l'armée israélienne, je ne peux mettre un terme à la colonisation, ni évacuer les colons !"

 

Sources Le Monde 

 

Posté par Adriana Evangelizt

 

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